Pour son interprétation de Feriel dans Les Bienheureux, Lyna Khoudri a reçu le prix de la meilleure actrice* à la dernière Mostra de Venise. Elle est aussi présélectionnée aux Césars 2018**, catégorie révélation féminine… Une étoile montante, pétillante et humble. L’actrice était parmi nous lors de la projection de ce premier long-métrage de Sofia Djama, le 18 janvier 2018 au Studio 66.
Les Bienheureux aborde « l’après » de la guerre civile algérienne…
Oui, le film se passe dix ans après la fin de la guerre civile à Alger. Je suis née en 1992 pendant cette guerre à Alger et elle fait partie de mon histoire. Après la période dorée en 1988 durant laquelle l’Algérie était en plein essor avec la liberté de penser et la possibilité de dire les choses, tout le monde est parti. Pendant la guerre civile, les intellectuels étaient tous menacés, comme mon père, journaliste ; on est parti et on a perdu beaucoup de nos proches. Je suis arrivée en France, à Aubervilliers, à deux ans.
J’avais envie de participer à ce film pour restituer un peu de cette histoire. Je me suis aperçue que le sujet était important et nécessaire pour moi. La réalisatrice Sofia Djama est très talentueuse et a fait un très beau film.
Votre personnage de Feriel représente la jeune génération ?
Je n’ai eu aucun mal à intégrer le personnage de Feriel. Elle est audacieuse et a envie de vivre. C’est un personnage vrai. Je connais beaucoup de femmes qui ont habité à Alger à son âge qui réagissaient comme elle. La femme algérienne n’est pas une femme soumise, elle ne se laisse pas faire. Le film est très réaliste, il confronte deux points de vue : celui de la jeunesse et celui d’une génération plus adulte, interprétée par Sami Bouajila et Nadia Kaci. Avec Amine Lansari, nous sommes la jeune génération qui se bat même si c’est dur. Quelque chose nous tient après cette guerre : l’amour, la solidarité et des codes communs. Les Bienheureux, c’est nous. Alors que les « adultes » sont en conflit idéologique constant et hésitent entre partir ou rester.
Comment s’est passé le tournage à Alger ?
Très agréable. Tous les acteurs ont été très concernés par le film. On a tout lu, regardé sur le sujet et on a passé du temps à Alger. On a eu quelques jours de tournage communs, des moments remplis d’échanges entre les comédiens des deux générations. J’ai pris conscience en me promenant dans les rues d’Alger et en discutant avec les habitants que tout le monde a connu cette guerre personnellement… en perdant un proche, un ami. Dans la rue, on pouvait aussi tomber sur un terroriste... Car, après la concorde civile*** en 1999, les terroristes sont descendus du maquis.
Que ressentez-vous après votre récompense à la Mostra de Venise ?
C’est fou ! On a senti une reconnaissance du public, avec une standing ovation à la projection. Alors que je prenais l’avion pour rentrer en France, on m’a appelée et demandée de revenir ; on m’a dit « tu as un prix ! » Ça a été le choc, ça s’est passé comme dans un film, dans un autre monde ; j’étais sur un petit nuage. On est trop content pour le film ! Il a été comparé au cinéma italien : c’est un super compliment ! Le scénario est très beau avec une écriture fine et des références à Léo Ferré, par exemple. Sofia a une double culture arabophone et francophone ; c’est le cas de plein de familles en Algérie. C’est un film authentique.
* catégorie Orizzonti (Horizons), l’équivalent d’Un certain regard au festival de Cannes
** 2 mars 2018, salle Pleyel
** loi d’amnistie partielle des terroristes qui se sont rendus, soumise par le président algérien Abdelaziz Bouteflika, avec l'assentiment de l'armée, au parlement. Adoptée le 8 juillet 1999 et appliquée du 13 juillet 1999 au 13 janvier 2000.
Propos recueillis par Sophie Durat
A lire : L’Invité page 2 du supplément culturel Sortir de Champigny notre ville de janvier 2018.