Elle est l’autrice d’un livre bouleversant “Violence conjugale. Six ans d’enfer avec un pervers narcissique manipulateur*”. Joane Goursaud, ex-employée municipale, revient sur la violence de son histoire et les raisons qui l’ont amenée à proposer son témoignage. Sans filtre…, mais avec cette volonté « de rester du côté de la vie. »
Qu’est-ce qui vous a amené vers l’écriture de ce livre ?
Joane Goursaud : j’ai choisi d’écrire pour dire ce qu’est le harcèlement moral. Comment du dénigrement permanent, j’ai basculé dans les addictions alimentaires, la dépression. Ce livre n’est pas à mettre entre toutes les mains, car il y a quelque chose de « brut » ; je ne cherche ni à protéger les lecteurs ni à camoufler une réalité… à tel point qu’en écrivant, je me rendais compte de l’horreur… Je crois que l’écriture a été pour moi un moyen de me réparer, de panser mes plaies. Durant ces six années passées auprès de cet homme, le père de mes enfants, j’ai eu envie d’écrire, mais je ne pouvais pas ; cela ne m’est devenu possible qu’après être sortie de l’enfer. J’ai eu besoin de témoigner, de partager les conséquences de cette violence quotidienne sur moi et sur ma vie. Durant cette période d’enfermement psychologique, je lisais beaucoup de livres pour trouver des réponses à mes questions, mais ils traitaient essentiellement de la violence physique dans laquelle je ne me reconnaissais pas. J’entendais bien la question du dénigrement que je subissais moi-même, mais je ne pouvais pas m’identifier à une femme battue ! Peut-être ce livre vient-il combler un vide…
Comment les choses se sont-elles installées ?
JG : Tout a été très vite ! Lorsque l’on s’est rencontré, cet homme me plaisait physiquement, et tout allait bien. Et puis, les insultes, les reproches, les phrases rabaissantes ont commencé. Des petites choses sur mon physique, mon comportement comme « tu n’as pas fait le ménage », alors je jouais au bon petit soldat. Des paroles plus dures aussi comme, « mais tu es conne ! », « t’es vraiment de la merde », et plus insidieuses des petites phrases du type, « si tu ne couches pas avec moi, c’est que tu ne m’aimes pas ! », ou encore « tu as pris cher… avec ton bide ! ». Bref, la calomnie, la dévalorisation étaient devenues quotidiennes, quasi normales à mes yeux. Et je culpabilisais, persuadée que ce n’était pas de sa faute à lui, mais de la mienne. Et le processus devient alors pernicieux puisque je le protégeais, je l’excusais ; « c’est à cause de ses origines sociales qu’il parle comme ça », « il est peu éduqué »...
Autour de vous, comment était-ce perçu ?
JG : Malgré l’enfer que je vivais, j’avais à cœur de donner une bonne image de notre couple. Lui-même était perçu comme quelqu’un de bien, de charmant ; et il savait l’être lorsque nous étions en présence d’autres, de personnes extérieures à la famille. Finalement, on n’est jamais sûre qu’il s’agit de violence lorsque l’on est confronté à l’emprise de quelqu’un. Lui-même banalisait sa façon de faire, ses paroles, en minimisant : « arrête, je ne t’ai jamais mis dessus ! », répétait-il. Et, le processus s’installe, l’emprise aussi, et je me persuadais que ma situation n’était pas si grave. Or, la souffrance est là, et ce qui est encore plus terrible, c’est que j’accompagnais, j’échangeais avec des femmes dont les conjoints étaient odieux. Sans doute était-ce une manière de mettre à distance mes propres difficultés, de ne pas ouvrir les yeux sur ma situation ; comme pour nier ce que je vivais !
Vous aviez essayé d’en parler pourtant…
JG : Oui, et cela n’a pas eu l’effet escompté. J’ai d’abord essayé d’aborder le sujet avec notre médecin généraliste qui n’y croyait pas. Il le connaissait et ne pouvait imaginer un tel comportement de sa part, ce qui, finalement, est venu alimenter mes doutes. Puis, à la police après une « scène de ménage » : je venais de tomber enceinte et, de 23h à 5h du matin, il me répétait qu’il allait me jeter par la fenêtre, qu’il allait faire disparaître mon corps… « dans la forêt avec ta fille. » Je venais porter plainte après avoir passé la nuit à me faire insulter ; ils ont banalisé les choses en argumentant que les conflits familiaux étaient fréquents, que ce n’était pas si dramatique ce que je disais. Il y a énormément d’a priori de l’extérieur comme s’il est plus simple de minimiser, de justifier de tels propos et de qualifier ces comportements de « maladroits. » Les gens se demandent « pourquoi vous restez, car si la situation est si terrible que ça, vous devriez partir ! » Et comme vous vivez avec ce sentiment permanent de honte -comme si c’était vous le bourreau- et de doute, alors que vous êtes victime, ces discours extérieurs font échos. Et les excuses, les embarras des autres finissent par vous persuader que vous exagérez…
Qu’est-ce qui a été déclencheur ?
JG : Une altercation d’une violence terrible ; ce jour où il a voulu m’étrangler ! Nous étions tous les deux dans une furie. Moi aussi, et je ne m’en cache pas, j’ai voulu faire pareil que lui : l’étrangler ! Après cette scène, j’ai pris conscience que je ne pouvais pas continuer à vivre de la sorte… pour mes enfants et moi-même. Je suis alors partie me réfugier chez mes parents avec mes enfants, et il n’a eu de cesse de me harceler, de dormir dans sa voiture devant chez eux. Il me répétait que je ne m’en sortirais jamais toute seule avec deux enfants… La pression continuait. À la sortie du livre, les réactions ont été diverses avec de l’incompréhension : de la part de ce médecin, notamment, qui m’a demandé à plusieurs reprises « est-ce que c’est vrai ? », des collègues de travail qui me voyaient sourire tous les jours. Quant à lui et sa famille, ils m’ont traitée de folle, sans parler des menaces de mort qu’il a proférées.
Quel message voulez-vous transmettre aux femmes victimes de violences conjugales ?
JG : Je sais à quel point il est difficile d’en parler tant ce terrible sentiment de honte jette un voile ! Si ce livre par mon témoignage permet, ne serait-ce qu’à une femme, de se sortir de cette situation, j’en serais heureuse ! Et je crois que ce sont les témoignages d’autres femmes qui peuvent aider à prendre conscience de la réalité dans laquelle nous vivons, de ce phénomène d’emprise dans lequel je me suis retrouvée. Alors oui, sans doute ai-je ma part de « responsabilité » dans cette traversée de l’enfer, une sorte de terreau psychologique favorable pour être tombée sous la coupe d’un tel homme. Aujourd’hui, je règle cette question, je me reconstruis ; j’ai pris 30 kg durant ces années et me retrouve avec des problèmes de comportement alimentaires sévères. Les conséquences sont là, mais j’ai choisi de rester du côté de la vie.
*auto-édition
Propos recueillis par Virginie Morin