Pascal Verbaeys a veillé sur le creusement du tunnelier Aïcha*, arrivé en mars à l’ouvrage Salengro après avoir parcouru en 15 mois- 3,1 km depuis la gare Bry-Villiers-Champigny (BVC). À la veille de son départ à la retraite, il nous reçoit dans son bureau tapissé de plans de tunnelier et de cartes géologiques. Aïcha a occupé les deux dernières années et demie de sa vie professionnelle. Rencontre avec un responsable tunnelier exigeant et passionné.
Pour creuser un tunnel de métro, par quoi on commence ?
D’abord, fin 2018, on a installé le chantier sur le site BVC avant l’arrivée du tunnelier pièce par pièce. A chaque chantier, quand on arrive, on doit tout commencer ; c’est une nouvelle aventure ! Le démarrage d’un projet et sa mise en cadence, c’est ce que je préférais.
Ce qui m’a plu aussi dans ce métier, c’est de gérer : les machines, les délais, les budgets, les aléas… et bien sûr les équipes.
Quelles sont les qualités d’un responsable tunnelier?
Mes équipes m’appellent « le Diable »! Parce que je suis partout, tout le temps! Les hommes ne se rendent pas toujours compte des risques du chantier. Mon rôle, c’est de faire respecter les règles de sécurité, en étant même parfois un peu sévère, très exigeant. Une erreur humaine ou un aléa technique, une surprise du terrain sont possibles à tout moment. On doit toujours être en veille ! On s’habitue, mais c’est usant, oui.
La conduite du tunnelier se fait au millimètre près. Il faut toujours être extrêmement vigilant sur son guidage. Le logiciel topographe donne les indications au pilote, mais il doit savoir s’adapter aux réactions de la machine. Quand on amorce un virage par exemple, on doit trouver le juste équilibre pour activer les verins de poussée ; sinon, le tunnelier peut trop monter ou trop descendre.
Vos meilleurs moments du tunnelier Aïcha?
Quand il avançait bien! Aux meilleurs moments, on a fait 34 mètres en une journée! Donc 424 mètres en un mois. C’est pas toujours le cas: parfois, on est ralenti par l’usure des outils de la roue de coupe qu’il faut remplacer selon la dureté du terrain.Chaque molette pèse 200kg, et pour les changer, on doit intervenir en caisson hyberbare, et être très prudents, respecter les paliers de décompression. On est formés pour ça, et on a une visite médicale spécifique. Je l’ai encore fait l’an dernier, à 61 ans!
Le tunnelier, c’est la star. Mais il n’est pas seul?
Sur le tunnelier de 9,87 mètres de diamètre, des équipes se relayent jour et nuit pour faire avancer la machine, ses pilotes ont des formations spéciales, les poseurs de voussoirs aussi. Et puis, il y a des manœuvres, plus polyvalents, un chef de chantier, des chefs d’équipes… Et oui, il faut une logistique importante autour du tunnelier. Une grue pour descendre tous les voussoirs** de 8 tonnes chacun, une centrale à mortier, un train sur pneus pour approvisionner le mortier, les voussoirs, les différents matériels pour le rallongement des circuits d’eau, de la ventilation, le prolongement du convoyeur a bande … Il faut aussi une tour à bandes, d’où se déroule le tapis d’évacuation des gravats, au fur et à mesure de l’avancée du tunnelier.
Sur les 3,1 km, à 24 mètres de profondeur, comment est la terre?
On a traversé neuf types de terrain. Il y a eu trois calcaires - celui de Champigny, celui de Saint-Ouen, et celui qu’on appelle grossier-; deux types de sables; des marnes et des caillasses; de l’argile et enfin des fausses glaises (terre noir). On a évacué 240 000 tonnes de gravats, en majorité par voie ferrée pour limiter les camions.
Quand Aïcha est arrivé, qu’avez-vous ressenti en tant que responsable?
Un grand Ouf ! Mais comme il n’est pas encore sorti, tous les jours, les équipes vont encore le voir pour faire du « cocooning », regarder si tout va bien et faire tourner les moteurs. C’est vrai que je suis fier que tout se soit bien passé et d’avoir construit un bel ouvrage qui va rester et changer le quotidien de plein de gens. On les embête en faisant du bruit, mais c’est pour du mieux après!
Et la fierté de votre parcours professionnel?
Les ouvrages construits, ici, et dans la roche des Pyrénées, mais aussi en région parisienne, à Toulouse… J’ai choisi cette branche des travaux souterrains, et ça été intense. Aujourd’hui, un peu étrange de partir à la retraite, mais je vais enfin avoir plus de temps pour mes six enfants qui font de beaux parcours. Deux d’entre eux prennent le même chemin que moi. J’en suis fier. Dans ma vie, j’aurais formé une centaine de personnes; ils ont appris un métier qu’ils aiment et pourront toujours trouver du travail. C’est une bonne chose. C’est surement un jeune que j’ai formé qui prendra ma relève après ma retraite. C’est important de transmettre notre savoir.
* Le tunnelier Aïcha sera sorti pièce par pièce en octobre, devancé en juillet par le tunnelier Camille venu de Créteil l’Echat.
** 7 voussoirs (pièce de béton) sont nécessaires pour former un anneau qui consolide la paroi du tunnel au fur et à mesure de ll avancement du tunnelier . 15 000 anneaux sur l’ensemble du parcours.
Par Béatrice Lovisa