Explorateur-animateur de musique médiévale, l’ancien instituteur campinois est aussi et surtout un grand passionné de mer et de navigation. Interview d’un passeur de rêves au long cours…
D’où vous vient cette passion pour la mer ?
C’est un hasard de la vie ! Tout petit, je suis tombé malade. Nous avons quitté Nogent avec ma mère pour partir vivre dans la maison de ma grand-mère, à Portbail, face à l’île de Jersey, en Normandie. Sur la plage, c’était un enchantement : le son des vagues, celui du vent dans la voile des cerfs-volants. Petit à petit, j’ai mis les pieds dans l’eau. J’ai attrapé un bouchon de liège et une plume de mouette pour faire un bateau… Et c’est l’appel du large ! De retour à mes 5 ans à Nogent, j’ai commencé à bricoler des petits bateaux pour le bassin à poissons rouges du jardin. C’est à ce moment là que le virus a pris. À 12 ans, avec trois sous en poche et « le système D », la revue des débrouillards, j’ai construit ma première embarcation : un périssoire de 3,5 mètres. Avec mon père, on l’a mis dans un wagon de marchandise, et on a pris la route des vacances…
Quels souvenirs gardez-vous de vos premières sorties sur l’eau ?
C’était fantastique ! Avec les copains, on avait monté un petit club de voile, en Normandie. C’était la « Génération Tabarly » ! Notre challenge : fabriquer le bateau le plus performant. C’était aussi la période des régates sur la Marne. Au pont de Bry, au Perreux, le chantier Kavé construisait des bateaux de rivière. Un jour, avec mes petits moyens, je leur ai demandé de me préparer une coque pour faire un « snipe* ». Pour le matériel, on était souvent perchés en haut des rayons du département nautique de la Samaritaine où on avait des prix au rabais. On nous avait surnommé « les voileux ». Au premier jour des vacances, on embarquait à bord du train Paris-Cherbourg, avec nos sacs à voile. Arrivés à bon port, on passait nos journées à confronter nos « mouille-cul » sur l’eau, faire des balades en mer et draguer les filles… La belle vie !
L’envie de naviguer, c’est aussi l’envie de partager et de transmettre ?
J’ai toujours aimé partager ces moments en mer. Adulte, je suis monté en grade et en longueur. J’ai commencé à acheter des bateaux d’occasion habitables que je retapais, pour faire des petites croisières avec les copains. C’était des catamarans que j’avais baptisé « Swann », en l’honneur de la Coupe de l’America des années 30, et a posteriori, de l’étude de Marcel Proust. Pendant mes années d’instituteur, j’ai fait des maquettes de bateau et de char à voile avec mes élèves, lors des classes transplantées, au centre de vacances municipal d’Oléron. C’était aussi de la pédagogie. À travers ces réalisations, on faisait des maths, de la physique, de la géographie… Pour moi, tous les élèves étaient capables. À travers cette approche nouvelle, j’ai réussi à transmettre le goût d’apprendre à nombre d’enfants. Aujourd’hui, certains sont devenus des experts reconnus dans leur domaine.
70 ans après vos premiers pas, l’appel du large est-il toujours aussi puissant ?
Toujours ! Même si je ne navigue plus de la même manière. En 1987, mon trimaran est parti en allumette lors d’une terrible tempête. C’était une sacrée bête : 50 mètres sur 3 de coque de flottaison. Sous un vent de 240 km/ heure, il s’est envolé et est retombé en morceaux. Ca a été la fin de l’histoire. Aujourd’hui, j’ai toujours un petit monoplace. Je fais du bateau comme le capitaine Haddock. À la marée, je me rends sur la plage avec mes instruments de musique traditionnels. Je joue de la cornemuse au coucher du soleil pour invoquer la déesse de la mer, au grand étonnement des promeneurs. C’est mon côté druide. Entre la mer et la musique, c’est l’accord parfait !
* Voilier dériveur 2 équipiers.
Par Sandrine Becker
À lire aussi, son portrait de musicien dans le magazine de décembre.