En salle depuis octobre, la Belle et la Meute de Kaouther Ben Hania sera programmé lors de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes, le 23 novembre. Entretien avec la réalisatrice qui s’est inspirée d’une histoire vraie et du livre « Coupable d’avoir été violée ».
Qu’est-ce qui vous a amené à réaliser ce film ?
« La belle et la meute » est inspiré d’une histoire vraie qui a fait beaucoup de bruit en Tunisie : le viol d’une jeune étudiante par une « meute » de policiers. Ce qui m’a interpellée, c’est la façon dont cette femme s’est battue pour la justice, pour que cet acte odieux soit reconnu par les institutions. Au cours du film, la transformation de Mariam l’étudiante ordinaire victime d’un viol et retrouvant sa dignité individuelle, est déplié l’espace d’une longue nuit. J’ai vraiment voulu prendre des libertés par rapport au livre1 pour m’approprier ce drame. Dans le film, le militant, les policiers, les policiers violeurs, la femme policière, les médecins réagissent selon leurs codes liés à leurs fonctions ou leurs idéaux. On aurait pu penser que le soutien viendrait des femmes ; ce n’est pas le cas, la solidarité et la justice dépassent le féminin.
Le thème que vous abordez croise une actualité dense. Qu’est ce que cela vous inspire ?
Malgré le contexte très tunisien du film, il observe de près les mécanismes toujours identiques auxquels sont confrontées les femmes dans ces situations de violence. Un Weinstein utilise les mêmes ressorts que les policiers violeurs du film : faire porter la honte aux victimes. Le rapport au pouvoir est perverti. Les policiers qui ont violé Mariam quelques heures plus tôt se présentent à elle en justiciers, défenseurs d’une institution qui ne peut être ternie car la Tunisie se reconstruit. Quel chantage ! J’ai voulu pointer cette intimidation qui oppose toujours la sécurité à la liberté. On la voit aussi dans des sphères politiques hors Tunisie: aux Etats-Unis après le 11 septembre, en France avec l’état d’urgence après les événements du Bataclan. On veut nous assurer une sécurité sans faille, mais on oublie nos droits individuels. Ce film est jalonné de questions sur la liberté et le respect des procédures. Qu’il s’agisse des violences ou du déni des institutions au nom de la démocratie.
Quelle signification avez-vous souhaité donner aux vêtements ? Tout démarre d’une robe de soirée…
La robe est un vêtement de fête au départ et devient la tenue qui fera porter l’accusation sur Mariam: « tu l’as bien cherché habillée comme ça ! » Tout au long du film, elle tire dessus, comme si le bout de tissu allait pousser, parce qu’elle a besoin de se couvrir. Les vêtements ont leur part, tel un paraître qui pourrait excuser un acte. Il y a aussi cet échange avec la femme policière qui lui demande de lui donner sa petite culotte ; elle l’échangera contre un voile, dont la jeune femme ne saura comment le porter, jusqu’à ce qu’elle arrive à en faire quelque chose, comme du traumatisme qu’elle a vécu : elle finira par porter ce voile comme une cape de héros de comics. C’est mon clin d’œil aux films de genre, que j’affectionne beaucoup.
Quels ont été les partis pris du film ?
Il y a une grande ellipse sur la scène du viol ; on n’en retrouve que des brisures au détour des 9 plans-séquences qui composent le film. Cette histoire-là me suggérait cette forme. A la façon d’un plan-séquence, la vie est linéaire, ne s’arrête jamais, les instants s’enchainent, défilent. Dans cette façon de filmer, sans montage, on est dans la respiration, le souffle de Mariam, sans artifice. Je voulais immerger le spectateur dans cette histoire, qu’il épouse ses peurs, ses perceptions des événements.
Documentaire ou fiction, vos sujets sont toujours empreints des réalités sociales ?
Je navigue entre documentaire et fiction, entre France et Tunisie. Le documentaire autorise davantage de liberté et fait contact avec le réel. Dans ma première réalisation, « Les Imams vont à l’école », j’ai appris à filmer des scènes comme en fiction, avec des fragments de réel. En tournant, je pensais au montage qui forcément ne correspondrait pas à la réalité. Quand on s’attèle à un film, on entre dans une production plus lourde et moins authentique, mais on conduit des personnages dans leurs ambiguïtés et leur complexité, dans leur réalité sociale, loin des clichés.
Que voudriez-vous ajouter pour soutenir ce long-métrage ?
Contrairement au sujet de départ, c’est un film sur l’espoir. Celui du combat de Mariam qui lui a permis d’aller de l’avant, d’avancer sur elle, sur ses croyances et ses freins. Je reprendrais la comparaison d’un jeune étudiant en cinéma : à la manière d’un film de comics, cette jeune femme ordinaire passe par la tragédie pour devenir quelqu’un d’autre, une héroïne en somme. Le cinéma a cette force de pouvoir nous emmener dans des récits de héros qui font face à de difficiles combats ; et on en a besoin aujourd’hui !
(1) Coupable d’avoir été violée, de Meriem Ben Mohamed, avec la collaboration d’Ava Djamshidi. Editions Michel Lafon
Virginie Morin
Voir aussi
Champigny Notre Ville, novembre 2017
Les actions organisées par la ville dans le cadre de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes